lundi 10 juin 2013

Une soirée à Aucard



Aucard de Tours

On est arrivée sous la pluie. On s'est précipitée sous le chapiteau pour se mettre à l'abri. Un tour à la buvette, et un repérage des lieux pour tester l'ambiance.
Aucun groupe n'est sur scène, le monde attend l'arrivée de l'artiste dans un brouhaha assourdissant. L'atmosphère est saturée: la fameuse chaleur humaine. J'étouffe.

On se rapproche de la scène autant que possible. Plus on avance, plus les corps sont compressés... et il n'y a pas encore de groupe!
On trouve ce que j'appelle un puits: un petit espace où par chance on peut ouvrir les bras sans toucher personne. On s'y arrête le temps de boire notre bière sans en renverser. Il faut se dépêcher, les puits ne durent jamais longtemps.

Tout à coups, des bras se lèvent, des gens se redressent, des cris s'amplifient. Sur la scène quelqu'un vient d'entrer. Je ne le vois pas, les lumières et la fumée cachent son visage. Derrière sa platine, il pousse un bouton, puis un autre, règle ses vinyles, la musique nous éclabousse. La tension monte sous la toile.

Il me faut du temps pour me rappeler pourquoi je suis là: danser, oublier. Me rappeler que je dois oublier... paradoxale?? Nooooonn!!
Je fais abstraction de tout. Je suis seule avec la musique. Mes pieds bien ancrés au sol, mes mains se tendent. Tout mon corps se balance, je hurle quand la tension de la musique se fait sentir.
"ALLLLLEEEEZZZ!!!" Je suis prête, je t'attends! Envoie du lourd!!

La musique est comme une montagne russe, on monte lentement vers le sommet, on nous fait languir, impatient de tomber dans le vide. Quand notre tension est au maximum, le son éclate. Le wagon s'engouffre dans la descente infernale.
Ici pas de vent dans les cheveux, pas d'organe qui subit la gravitation... non, mais...
Ma peau frémit, sur mes bras le moindre poil se dresse, mes jambes suivent le rythme, mes bras se balancent selon la mélodie, mes hanches suivent les basses, mon cœur déborde de puissance.
J'oublie. Il n'y a plus que la musique. Paupières closes, chaque membre de mon corps est indépendant du reste.

Un bras s'enroule autour de ma taille me faisant revenir à la réalité. Mi-amusée, mi-irritée je me déplace, mettant une distance entre moi et le propriétaire du dit-bras. Je ne suis pas là pour ça. J'adresse un sourire au garçon pour le remercier de l'intention, mais m'éloigne en secouant la tête.
Je profite de cette intrusion dans mon délire pour regarder autour de moi. Un sentiment différent est inscrit sur chaque visage. Incrédulité, joie, douleur, fatigue, impassibilité... pas un ne ressant la même chose que l'autre. Pourtant les hurlements se soulèvent tous en même temps, les mains se balancent sur le même rythme. On est un, on est cent, on est uni et pourtant chacun dans son monde. Personne ne ressent la même chose mais tout le monde est là.

A ce moment-là, allez savoir pourquoi, je me suis demandée ce qu'un sourd pourrait ressentir.
Alors j'ai fait abstraction de la musique pour me concentrer sur mes autres sens.
D'abord l'odorat: la chaleur des corps, et tout ce qui va avec. La sueur, les parfums, mais rien de repoussant, au contraire: les hormones sûrement.
La vue: magnifique spectacle que tous ces corps se trémoussant, se balançant, s'exprimant. Les visages transfigurés, les torses luisants, les sourires heureux. Même les yeux fermés, la lumière me parvient. Je les rouvre, je suis éblouit par tous les spots.
Le goût: l'air est lourd, il est comme une pâte chaude sur mon palais. Un coup de coude malheureux m'a égratigné l'intérieur de la lèvre, le goût métallique se dépose sur ma langue et se mélange avec l’âpreté de la bière.
Le toucher: le plus important. Pas besoin d'entendre pour ressentir. La musique vibre tout autour de nous. Le sol renvoie les basses. Elles remontent le long de nos jambes, s'engouffrent dans nos estomacs, percutent nos cœurs. Quelque chose d'étrange se produit. Mon nez me chatouille. Mes narines subissent les vibrations de la mélodie. Je passe mon temps à les frotter pour calmer ces chatouillis.
Non vraiment, pas besoin d'avoir des oreilles en état de marche pour apprécier, tout en moi jouit de la soirée.

Une soirée à Aucard, une soirée gravée à jamais dans chaque fibre de mon cœur, de mon corps.

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